Victor Hugo

 



Victor Hugo est né à Besançon le 26 février 1802. Fils d'un général de Napoléon, il suivit d'abord son père dans le hasard des expéditions et des campagnes, en Italie, en Espagne, où il fut page du roi Joseph et élève au séminaire des nobles de Madrid. Vers l'âge de onze ans, il vint s'établir avec sa mère, séparée à cette époque du général, à Paris, dans le quartier, presque désert alors, du Val-de-Grâce. C'est là qu'il grandit dans une liberté d'esprit et de lectures absolue, sous les yeux d'une mère extrêmement indulgente et assez insoucieuse à l'endroit de l'éducation. Il s'éleva tout seul, lut beaucoup, au hasard, s'éprit, dès quinze ans, à la fois de vers et de mathématiques, se préparant à l'École polytechnique et concourant aux Jeux floraux. 

Couronné deux fois par cette société littéraire, nommé par elle maître ès jeux floraux en1820, distingué par l'Académie française en 1817, à l'âge de quinze ans, pour une pièce sur les Avantages de l'étude, s'essayant à une tragédie (Irtamène dont on trouve quelques fragments dans Littérature et Philosophie mêlees), il comprit que sa vocation était toute littéraire, abandonna les mathématiques, et lança en 1822 les Odes. Il obtint une pension de 2 000 francs de Louis XVIII, peut-être pour son livre, peut-être pour un trait de générosité dont le Roi fut touché ; il se maria (1822), et ne songea plus qu'à marcher sur les traces de Lamartine, qui était l'idole du jour. 

Journaux (Le Conservateur littéraire), romans (Bug-Jargal, Han d'Islande), théâtre (Amy Robsart avec Ancelot, à l'Odéon, chute), vers (Ballades et nouveaux recueils d'Odes) l'occupent jusqu'en 1827. A cette date, il donne Cromwell, grand drame en vers (non joué), avec une préface qui est un manifeste. En 1828 il écrit Marion de Lorme, drame en vers, qui est interdit par la censure, en 1829 les Orientales, en 1830 Hernani, joué à la Comédie française, acclamé par la jeunesse littéraire du temps, peu goûté du public. La Révolution de 1830 donne la liberté à Marion de Lorme, qui est jouée à la Porte Saint-Martin avec un assez grand succès.

Dès lors Victor Hugo se multiplie en créations. Les recueils de vers et les drames se succèdent rapidement. En librairie, c'est Notre-Dame de Paris, roman (1831), Littérature et philosophie mêlées (1834), Feuilles d'automne, poésies (1831), Chants du crépuscule, poésies (1835), Voix intérieures, poésies (1837), Rayons et Ombres, poésies (1840), Le Rhin, impressions de voyage (1842). – Au théâtre, c'est Le Roi s'amuse, en vers (1839), représenté une fois, puis interdit sous prétexte d'allusion politique, Lucrèce Borgia, en prose (1833), Marie Tudor, en prose (1833), Angelo, en prose (1835), Ruy Blas, en vers (1838), les Burgraves, en vers (1843). 

En 1841 il avait été élu de l'Académie française, après un premier échec. En 1845 il fut nommé pair de France. En 1848 il fut élu député de Paris à l'Assemblée Constituante, fonda le journal l'Evénement pour préparer sa candidature à la Présidence de la République, et devint un personnage politique. A la Constituante, il siégea parmi la droite et vota ordinairement avec elle. Peu soutenu dans sa candidature à la Présidence, mais réélu député de Paris, il siégea à gauche à l'Assemblée législative, se marqua énergiquement comme anti-clérical (Loi sur l'enseignement) et inclina peu à peu vers le groupe socialiste. Au 2 décembre 1851 il se mêla au mouvement de résistance, et dû prendre la route de l'exil. 

Il se retira en Belgique, puis à Jersey, puis à Guernesey, refusa de bénéficier des amnisties, et ne rentra en France qu'en 1870. Pendant son séjour à l'étranger, il publia Napoléon le Petit, et écrivit l'Histoire d'un crime, pamphlets politiques en prose, Les Châtiments (1853), satires en vers contre les hommes de l'Empire, Les Contemplations, poésies (1856), la première Légende des Siècles (1859), Les Misérables, roman (1862), William Shakespeare, étude critique (1864), Les Travailleurs de la mer, roman (1866), Les Chansons des rues et des bois, poésies (1865), etc. 

En 1882, revenu à Paris sous la troisième république, il vit le siège de 1870 et la guerre civile de 1871, qui lui inspirèrent l'Année terrible, poésies (1872). il donna encore la deuxième Légendes des Siècles, poésies (1877), l'Art d'être Grand-Père, poésies (1877), la troisième Légende des Siècles, poésies (1881), les Quatre vents de l'esprit, poésies (1882). Il avait été nommé sénateur par le collège électoral de Paris en 1876. Il parla peu. Il vota constamment avec la gauche. Ses opinions politiques d'alors étaient représentées par le journal Le Rappel, fondé vers la fin de l'Empire par ses parents et alliés. Il mourut le 22 mai 1885, « dans la saison des roses », comme il l'avait prédit quinze années auparavant, à l'âge de 83 ans, comme Goethe. Son corps fut déposé au Panthéon, après les funérailles les plus magnifiques que la France ait vues depuis Mirabeau. Il a laissé une grande quantité d'œuvres inédites qui paraîtront successivement. En 1886 on en a donné deux, le Théâtre en Liberté, et la Fin de Satan, qui n'ont rien ôté à sa gloire.

D'après Émile Faguet, Dix-Neuvième siècle, Études littéraires.


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Extrait " Feuilles d'automne "


Ô mes lettres d'amour, de vertu, de jeunesse,
C'est donc vous ! Je m'enivre encore à votre ivresse ;
Je vous lis à genoux.
Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge !
Laissez-moi me cacher, moi, l'heureux et le sage,
Pour pleurer avec vous !

J'avais donc dix-huit ans ! j'étais donc plein de songes !
L'espérance en chantant me berçait de mensonges.
Un astre m'avait lui !
J'étais un dieu pour toi qu'en mon cœur seul je nomme !
J'étais donc cet enfant, hélas! devant qui l'homme
Rougit presque aujourd'hui !

Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce !
Attendre tous les soirs une robe qui passe !
Baiser un gant jeté ! 
Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire !
Etre pur, être fier, être sublime et croire
A toute pureté !

A présent j'ai senti, j'ai vu, je sais. - Qu'importe ?
Si moins d'illusions viennent ouvrir ma porte
Qui gémit en tournant !
Oh ! que cet âge ardent, qui me semblait si sombre,
A côté du bonheur qui m'abrite à son ombre,
Rayonne maintenant !

Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années !
Pour m'avoir fui si vite et vous être éloignées
Me croyant satisfait ?
Hélas ! pour revenir m'apparaître si belles,
Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes, 
Que vous ai-je donc fait ?

Oh ! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache,
Avec sa robe blanche où notre amour s'attache,
Revient dans nos chemins,
On s'y suspend, et puis que de larmes amères
Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères
Qui vous restent aux mains !

Oublions ! oublions ! Quand la jeunesse est morte,
Laissons-nous emporter par le vent qui l'emporte
A l'horizon obscur,
Rien ne reste de nous ; notre œuvre est un problème
. L'homme, fantôme errant, passe sans laisser même
Son ombre sur le mur !


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Rêverie

 

Oh ! laissez-moi ! c'est l'heure où l'horizon qui fume
Cache un front inégal sous un cercle de brume,
L'heure où l'astre géant rougit et disparaît.
Le grand bois jaunissant dore seul la colline.
On dirait qu'en ces jours où l'automne décline,
Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt.
Oh ! qui fera surgir soudain, qui fera naître,
Là-bas, - tandis que seul je rêve à la fenêtre
Et que l'ombre s'amasse au fond du corridor, -
Quelque ville mauresque, éclatante, inouïe,
Qui, comme la fusée en gerbe épanouie,
Déchire ce brouillard avec ses flèches d'or !
Qu'elle vienne inspirer, ranimer, ô génies,
Mes chansons, comme un ciel d'automne rembrunies,
Et jeter dans mes yeux son magique reflet,
Et longtemps, s'éteignant en rumeurs étouffées,
Avec les mille tours de ses palais de fées,
Brumeuse, denteler l'horizon violet !

 

 

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Que t'importe, mon coeur 

Que t'importe, mon coeur, ces naissances des rois, 
Ces victoires, qui font éclater à la fois 
Cloches et canons en volées, 
Et louer le Seigneur en pompeux appareil, 
Et la nuit, dans le ciel des villes en éveil, 
Monter des gerbes étoilées ? 
Porte ailleurs ton regard sur Dieu seul arrêté ! 
Rien ici-bas qui n'ait en soi sa vanité. 
La gloire fuit à tire-d'aile ; 
Couronnes, mitres d'or, brillent, mais durent peu. 
Elles ne valent pas le brin d'herbe que Dieu 
Fait pour le nid de l'hirondelle ! 
Hélas ! plus de grandeur contient plus de néant ! 
La bombe atteint plutôt l'obélisque géant 
Que la tourelle des colombes. 
C'est toujours par la mort que Dieu s'unit aux rois. 
Leur couronne dorée a pour faite sa croix, 
Son temple est pavé de leurs tombes. 
Quoi ! hauteur de nos tours, splendeur de nos palais, 
Napoléon, César, Mahomet, Périclès, 
Rien qui ne tombe et ne s'efface ! 
Mystérieux abîme où l'esprit se confond ! 
A quelques pieds sous terre un silence profond, 
Et tant de bruit à la surface ! 

 

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Liberté ! 



De quel droit mettez-vous des oiseaux dans des cages ? 
De quel droit ôtez-vous ces chanteurs aux bocages, 
Aux sources, à l'aurore, à la nuée, aux vents ? 
De quel droit volez-vous la vie à ces vivants ? 
Homme, crois-tu que Dieu, ce père, fasse naître 
L'aile pour l'accrocher au clou de ta fenêtre ? 
Ne peux-tu vivre heureux et content sans cela ? 
Qu'est-ce qu'ils ont donc fait tous ces innocents-là 
Pour être au bagne avec leur nid et leur femelle ? 
Qui sait comment leur sort à notre sort se mêle ? 
Qui sait si le verdier qu'on dérobe aux rameaux, 
Qui sait si le malheur qu'on fait aux animaux 
Et si la servitude inutile des bêtes 
Ne se résolvent pas en Nérons sur nos têtes ? 
Qui sait si le carcan ne sort pas des licous ? 
Oh! de nos actions qui sait les contre-coups, 
Et quels noirs croisements ont au fond du mystère 
Tant de choses qu'on fait en riant sur la terre ? 
Quand vous cadenassez sous un réseau de fer 
Tous ces buveurs d'azur faits pour s'enivrer d'air, 
Tous ces nageurs charmants de la lumière bleue, 
Chardonneret, pinson, moineau franc, hochequeue, 
Croyez-vous que le bec sanglant des passereaux 
Ne touche pas à l'homme en heurtant ces barreaux ? 
Prenez garde à la sombre équité. Prenez garde ! 
Partout où pleure et crie un captif, Dieu regarde. 
Ne comprenez-vous pas que vous êtes méchants ? 
À tous ces enfermés donnez la clef des champs ! 
Aux champs les rossignols, aux champs les hirondelles ; 
Les âmes expieront tout ce qu'on fait aux ailes. 
La balance invisible a deux plateaux obscurs. 
Prenez garde aux cachots dont vous ornez vos murs ! 
Du treillage aux fils d'or naissent les noires grilles ; 
La volière sinistre est mère des bastilles. 
Respect aux doux passants des airs, des prés, des eaux 1 
Toute la liberté qu'on prend à des oiseaux 
Le destin juste et dur la reprend à des hommes. 
Nous avons des tyrans parce que nous en sommes. 
Tu veux être libre, homme ? et de quel droit, ayant 
Chez toi le détenu, ce témoin effrayant ? 
Ce qu'on croit sans défense est défendu par l'ombre. 
Toute l'immensité sur ce pauvre oiseau sombre 
Se penche, et te dévoue à l'expiation. 
Je t'admire, oppresseur, criant: oppression ! 
Le sort te tient pendant que ta démence brave 
Ce forçat qui sur toi jette une ombre d'esclave 
Et la cage qui pend au seuil de ta maison 
Vit, chante, et fait sortir de terre la prison. 

 

 

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 Extrait des Contemplations
(hommage à Alexandre Dumas)


Merci du bord des mers à celui qui se tourne
Vers la rive où le deuil, tranquille et noir, séjourne,
Qui défait de sa tête, où le rayon descend,
La couronne, et la jette au spectre de l'absent,
Et qui, dans le triomphe et la rumeur, dédie
Son drame à l'immobile et pâle tragédie !
Je n'ai pas oublié le quai d'Anvers, ami,
Ni le groupe, vaillant, toujours plus raffermi,
D'amis chers, de fronts purs, ni toi, ni cette foule.
Le canot du steamer soulevé par la houle
Vint me prendre, et ce fut un long embrassement
Je montai sur l'avant du paquebot fumant,
La roue ouvrit la vague, et nous nous appelâmes.
- Adieu ! - Puis, dans les vents, dans les flots, dans les lames,
Toi debout sur le quai, moi debout sur le pont,
Vibrant comme deux luths dont la voix se répond,
Aussi longtemps qu'on pu se voir, nous regardâmes
L'un vers l'autre, faisant comme un échange d'âmes ;
Et le vaisseau fuyait et la terre décrut ;
L'horizon entre nous monta, tout disparut ;
Une brume couvrit l'onde incommensurable ;
Tu rentras dans ton œuvre éclatante, innombrable,
Multiple, éblouissante, heureuse, où le jour luit ;
Et moi dans l'unité sinistre de la nuit.


Les Contemplations
Livre 5ème, 15
1854

 Victor Hugo : « Ton œuvre éclatante, innombrable,
multiple, éblouissante... »

 

 

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Le mot


Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites,
Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes,
Tout: la haine et le deuil. Et ne m'objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas.
Écoutez bien ceci: tête-à-tête en pantoufle
Porte close, chez vous, sans un témoin qui souffle
Vous dites à l'oreille au plus mystérieux
De vos amis de coeur, ou si vous l'aimez mieux
Vous murmurez tout seul croyant presque vous taire,
Dans le fond d'une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu.
Ce mot désagréable que vous croyez qu'on n'a pas entendu.
Que vous disiez tout bas, dans un lieu sourd et sombre,
Tenez: il est dehors, il connaît son chemin,
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle,
Au besoin, il prendrait des ailes comme l'aigle.
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera;
Passe l'eau sans bateau dans la saison des crues,
Il va tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé;
Il sait le numéro, l'étage, il a la clé,
Il monte l'escalier; ouvre la porte, passe
Entre, arrive et railleur; regardant l'homme en face
Dit: Me voilà!  Je sors de la bouche d'un tel!
Et c'est fait:  vous avez un ennemi mortel.


Victor Hugo


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LA LÉGENDE DES SIÈCLES Ire SÉRIE. HISTOIRE. -- 
LES PETITES EPOPÉES TOME PREMIER

A LA FRANCE 

Livre, qu'un vent t'emporte 
En France où je suis né! 
L'arbre déraciné 
Donne sa feuille morte. 
V. H. 

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Les personnes qui voudront bien jeter un coup d'oeil 
sur ce livre ne s'en feraient pas une idée précise, 
si elles y voyaient autre chose qu'un commencement. 

Ce livre est-il don un fragment? Non. Il existe à part. 
Il a, comme on le verra, son exposition, son milieu et sa fin. 

Mais en même temps, il est, pour ainsi dire, la première 
page d'un autre livre. 

Un commencement peut-il être un tout? Sans doute. 
Un péristyle est un édifice. 

L'arbre, commencement de la forêt, est un tout. Il 
appartient à la vie isolée, par la racine, et à la vie en 
commun, par la séve. A lui seul, il ne prouve que l'arbre, 
mais il annonce la forêt. 

Ce livre, s'il n'y avait pas quelque affectation dans 
des comparaisons de cette nature, aurait, lui aussi, 
ce double caractère. Il existe solitairement et forme 
un tout; il existe solidairement et fait partie d'un ensemble. 

Cet ensemble, que sera-t-il? 

Exprimer l'humanité dans une espèce d'oeuvre cyclique; 
la peindre successivement et simultanément sous 
tous ses aspects, histoire, fable, philosophie, religion, 
science, lesquels se résument en un seul et immense 
mouvement d'ascension vers la lumière; faire apparaître, 
dans une sorte de miroir sombre et clair -- que 
l'interruption naturelle des travaux terrestres brisera 
probablement avant qu'il ait la dimension rêvée par 
l'auteur -- cette grande figure une et multiple, lugubre 
et rayonnante, fatale et sacrée, l'Homme; voilà de quelle 
pensée, de quelle ambition, si l'on veut, est sortie la 
Légende des Siècles. 

Les deux premiers volumes qu'on va lire n'en contiennent que 
la première partie, la première série, comme dit le titre. 

Les poèmes qui composent ces deux volumes ne sont 
donc autre chose que des empreintes successives du profil 
humain, de date en date, depuis Ève, mère 
des hommes, jusqu'à la Révolution, mère des peuples; 
empreintes prises, tantôt sur la barbarie, 
tantôt sur la civilisation, presque toujours sur le vif de 
l'histoire; empreintes moulées sur le masque des siècles. 

Quand d'autres volumes se seront joints à ceux-ci, de 
façon à rendre l'oeuvre un peu moins incomplète, cette 
série d'empreintes, vaguement disposée dans un certain 
ordre chronologique, pourra former une sorte de galerie 
de la médaille humaine. 

Pour le poète comme pour l'historien, pour l'archéologue 
comme pour le philosophe, chaque siècle est un 
changement de physionomie de l'humanité. On trouvera 
dans ces deux volumes, qui, nous le répétons, seront 
continués et complétés, le reflet de quelques-uns de ces 
changements de physionomie. 

On y trouvera quelque chose du passé, quelque chose 
du présent (XIII. Maintenant), et comme un vague mirage 
de l'avenir. Du reste, ces poèmes, divers par le 
sujet, mais inspirés par la même pensée, n'ont entre eux 
d'autre noeud qu'un fil, ce fil qui s'atténue quelquefois 
au point de devenir invisible, mais qui ne casse jamais, 
le grand fil mystérieux du labyrinthe humain, le Progrès. 

Comme dans une mosaïque, chaque pierre a sa couleur et sa 
forme propre; l'ensemble donne une figure. La figure de ce livre, 
on l'a dit plus haut, c'est l'homme. 

Ces deux volumes d'ailleurs, qu'on veuille bien ne pas 
l'oublier, sont à l'ouvrage dont ils font partie, et qui 
sera mis au jour plus tard, ce que serait à une symphonie 
l'ouverture. Ils n'en peuvent donner l'idée exacte 
et complète, mais ils contiennent une lueur de l'oeuvre entière. 

Le poème que l'auteur a dans l'esprit n'est ici qu'entr'ouvert. 

Quand à ces deux volumes pris en eux-mêmes, l'auteur n'a 
qu'un mot à en dire: le genre humain, 
considéré comme un grand individu collectif accomplissant 
d'époque en époque une série d'actes sur 
la terre, a deux aspects: l'aspect historique et l'aspect légendaire. 
Le second n'est pas moins vrai que le premier; le premier n'est pas 
moins conjectural que le second. 

Qu'on ne conclue pas de cette dernière ligne -- 
disons-le en passant -- qu'il puisse entrer dans la 
pensée de l'auteur d'amoindrir la haute valeur de l'enseignement 
historique. Pas une gloire, parmi les splendeurs 
du génie humain, ne dépasse celle du grand historien philosophe. 
L'auteur, seulement, sans diminuer la portée de l'histoire, veut 
constater la portée de la légende. Hérodote fait l'histoire, 
Homère fait la légende. 

C'est l'aspect légendaire qui prévaut dans ces deux 
volumes et qui en colore les poèmes. Ces poèmes se 
passent l'un à l'autre le flambeau de la tradition humaine. 
Quasi cursores. C'est ce flambeau, dont la flamme 
est le vrai, qui fait l'unité de ce livre. Tous ces poèmes, 
Ceux du moins qui résument le passé, sont de la réalité 
historique condensée ou de la réalité historique devinée. 
La fiction parfois, la falsification jamais; aucun grossissement 
de lignes; fidélité absolue à la couleur des temps 
et à l'esprit des civilisations diverses. Pour citer des 
exemples, la décadence romaine (tome Ier, page 49) n'a 
pas un détail qui ne soit rigoureusement exact; la barbarie 
mahométane ressort de Cantemir, à travers l'enthousiasme 
de l'historiographe turc, telle qu'elle est exposée dans les 
premières pages de Zim-Zizimi et de Sultan Mourad. 

Du reste, les personnes auxquelles l'étude du passé 
est familière, reconnaîtront, l'auteur n'en doute pas, l'accent 
réel et sincère de tout ce livre. Un de ces poèmes 
(Première rencontre du Christ avec le tombeau) est tiré, 
l'auteur pourrait dire traduit, de l'Évangile. Deux autres 
(le Mariage de Roland, Aymerillot) sont des feuillets détachés 
de la colossale épopée du moyen âge (Charlemagne, 
emperor à la barbe florie). Ces deux poèmes jaillissent 
directement des livres de geste de la chevalerie. C'est 
de l'histoire écoutée aux portes de la légende. 

Quant au mode de formation de plusieurs des autres 
poèmes dans la pensée de l'auteur, on pourra s'en faire 
une idée en lisant les quelques lignes placées en note à 
la page 126 du tome II, lignes d'où est sortie la pièce 
intitulée: les Raisons du Momotombo. L'auteur en convient, 
un rudiment imperceptible, perdu dans la chronique 
ou dans la tradition, à peine visible à l'oeil nu, lui a souvent 
suffi. Il n'est pas défendu au poète et au philosophe 
d'essayer sur les faits sociaux ce que le naturaliste essaie 
sur les faits zoologiques: la reconstruction du monstre 
d'après l'empreinte de l'ongle ou de l'alvéole de la dent. 

Ici lacune, là étude complaisante et approfondie d'un 
détail, tel est l'inconvénient de toute publication fractionnée. 
Ces défauts de proportion peuvent n'être qu'apparents. Le lecteur 
trouvera certainement juste d'attendre, pour les apprécier 
définitivement, que la Légende des Siècles ait paru en 
entier. Les usurpations, par exemple, jouent un tel rôle dans 
la construction des royautés au moyen âge, et mêlent tant 
de crimes à la complication des investitures, que l'auteur a cru devoir 
les présenter sous leurs trois principaux aspects dans 
les trois drames : le Petit Roi de Galice, Eviradnus, la 
Confiance du marquis Fabrice. Ce qui peut sembler aujourd'hui 
un développement excessif s'ajustera plus tard à l'ensemble. 

Les tableaux riants sont rares dans ce livre; cela tient 
à ce qu'ils ne sont pas fréquents dans l'histoire. 

Comme on le verra, l'auteur, en racontant le genre 
humain, ne l'isole pas de son entourage terrestre. Il 
mêle quelquefois à l'homme, il heurte à l'âme humaine, 
afin de lui faire rendre son véritable son, ces êtres différents 
de l'homme que nous nommons bêtes, choses, 
nature morte, et qui remplissent on ne sait quelles 
fonctions fatales dans l'équilibre vertigineux de la 
création. 

Tel est ce livre. L'auteur l'offre au public sans rien se 
Dissimuler de sa profonde insuffisance. C'est une tentative 
vers l'idéal. Rien de plus. 

Ce dernier mot a besoin peut-être d'être expliqué. 

Plus tard, nous le croyons, lorsque plusieurs autres 
parties de ce livre auront été publiées, on apercevra le 
lien qui, dans la conception de l'auteur, rattache la Légende 
des Siècles à deux autres poèmes, presque terminés à 
cette heure, et qui sont, l'un le dénouement, l'autre 
le couronnement; la Fin de Satan, et Dieu. 

L'auteur, du reste, pour compléter ce qu'il a dit plus 
haut, ne voit aucune difficulté à faire entrevoir dès à 
présent, qu'il a esquissé dans la solitude une sorte de 
poëme d'une certaine étendue où se réverbère le problème 
unique, l'Être, sous sa triple face; l'Humanité, le 
Mal, l'Infini; le progressif, le relatif, l'absolu; en ce 
qu'on pourrait appeler trois chants : la Légende des 
Siècles, la Fin de Satan, Dieu. 

Il publie aujourd'hui un premier carton de cette esquisse. 
Les autres suivront. 

Nul ne peut répondre d'achever ce qu'il a commencé, 
pas une minute de continuation certaine n'est 
assurée à l'oeuvre ébauchée; la solution de continuité, 
hélas! c'est tout l'homme; mais il est permis, même 
au plus faible, d'avoir une bonne intention et de la dire. 

Or, l'intention de ce livre est bonne. 

L'épanouissement du genre humain de siècle en siècle, 
l'homme montant des ténèbres à l'idéal, la transfiguration 
paradisiaque de l'enfer terrestre, l'éclosion lente et 
suprême de la liberté, droit pour cette vie, responsabilité 
pour l'autre; une espèce d'hymne religieux à mille 
strophes, ayant dans ses entrailles une foi profonde et 
sur son sommet une haute prière; le drame de la création 
éclairé par le visage du créateur, voilà ce que sera, 
terminé, ce poème dans son ensemble; si Dieu, maître 
des existences humaines, y consent. 

Hauteville house. Septembre 1859. 



I - D'ÈVE A JÉSUS 
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I - LE SACRE DE LA FEMME 


L'aurore apparaissait; quelle aurore? Un abîme 
D'éblouissement, vaste, insondable, sublime; 
Une ardente lueur de paix et de bonté. 
C'était au premiers temps du globe; et la clarté 
Brillait sereine au front du ciel inaccessible, 
Étant tout ce que Dieu peut avoir de visible; 
Tout s'illuminait, l'ombre et le brouillard obscur; 
Des avalanches d'or s'écroulaient dans l'azur; 
Le jour en flamme, au fond de la terre ravie, 
Embrasait les lointains splendides de la vie; 
Les horizons pleins d'ombre et de rocs chevelus, 
Et d'arbres effrayants que l'homme ne voit plus, 
Luisaient comme le songe et comme le vertige, 
Dans une profondeur d'éclair et de prodige; 
L'Éden pudique et nu s'éveillait mollement; 
Les oiseaux gazouillaient un hymne si charmant, 
Si frais, si gracieux, si suave et si tendre, 
Que les anges distraits se penchaient pour l'entendre; 
Le seul rugissement du tigre était plus doux; 
Les halliers où l'agneau paissait avec les loups, 
Les mers où l'hydre aimait l'alcyon, et les plaines 
Où les ours et les daims confondaient leurs haleines, 
Hésitaient, dans le choeur des concerts infinis, 
Entre le cri de l'antre et la chanson des nids. 
La prière semblait à la clarté mêlée; 
Et sur cette nature encore immaculée, 
Qui du verbe éternel avait gardé l'accent, 
Sur ce monde céleste, angélique, innocent, 
Le matin, murmurant une sainte parole, 
Souriait, et l'aurore était une auréole. 
Tout avait la figure intègre du bonheur; 
Pas de bouche d'où vint un souffle empoisonneur; 
Pas un être qui n'eût sa majesté première; 
Tout ce que l'infini peut jeter de lumière 
Éclatait pêle-mêle à la fois dans les airs; 
Le vent jouait avec cette gerbe d'éclairs 
Dans le tourbillon libre et fuyant des nuées; 
L'enfer balbutiait quelques vagues huées 
Qui s'évanouissaient dans le grand cri joyeux 
Des eaux, des monts, des bois, de la terre et des cieux! 
Les vents et les rayons semaient de tels délires, 
Que les forêts vibraient comme de grandes lyres; 
De l'ombre à la clarté, de la base au sommet, 
Une fraternité vénérable germait; 
L'astre était sans orgueil et le ver sans envie; 
On s'adorait d'un bout à l'autre de la vie; 
Une harmonie égale à la clarté, versant 
Une extase divine au globe adolescent, 
Semblait sortir du coeur mystérieux du monde; 
L'herbe en était émue, et le nuage, et l'onde, 
Et même le rocher qui songe et qui se tait; 
L'arbre, tout pénétré de lumière, chantait; 
Chaque fleur, échangeant son souffle et sa pensée 
Avec le ciel serein d'où tombe la rosée, 
Recevait une perle et donnait un parfum; 
L'Être resplendissait, Un dans Tout, Tout dans Un; 
Le paradis brillait sous les sombres ramures 
De la vie ivre d'ombre et pleine de murmures, 
Et la lumière était faite de vérité; 
Et tout avait la grâce, ayant la pureté; 
Tout était flamme, hymen, bonheur, douceur, clémence, 
Tant ces immenses jours avaient une aube immense! 

II 

Ineffable lever du premier rayon d'or! 
Du jour éclairant tout sans rien savoir encor! 
O matin des matins! amour! joie effrénée 
De commencer le temps, l'heure, le mois, l'année! 
Ouverture du monde! instant prodigieux! 
La nuit se dissolvait dans les énormes cieux 
Où rien ne tremble, où rien ne pleure, où rien ne souffre; 
Autant que le chaos la lumière était gouffre; 
Dieu se manifestait dans sa calme grandeur, 
Certitude pour l'âme et pour les yeux splendeur; 
De faîte en faîte, au ciel et sur terre, et dans toutes 
Les épaisseurs de l'être aux innombrables voûtes, 
On voyait l'évidence adorable éclater; 
Le monde s'ébauchait, tout semblait méditer; 
Les types primitifs, offrant dans leur mélange 
Presque la brute informe et rude et presque l'ange, 
Surgissaient, orageux, gigantesques, touffus; 
On sentait tressaillir sous leurs groupes confus 
La terre, inépuisable et suprême matrice; 
La création sainte, à son tour créatrice, 
Modelait vaguement des aspects merveilleux, 
Faisait sortir l'essaim des êtres fabuleux 
Tantôt des bois, tantôt des mers, tantôt des nues, 
Et proposait à Dieu des formes inconnues 
Que le temps, moissonneur pensif, plus tard changea; 
On sentait sourdre, et vivre, et végéter déjà 
Tous les arbres futurs, pins, érables, yeuses, 
Dans des verdissements de feuilles monstrueuses; 
Une sorte de vie excessive gonflait 
La mamelle du monde au mystérieux lait; 
Tout semblait presque hors de la mesure éclore; 
Comme si la nature, en étant proche encore, 
Eût pris pour ses essais sur la terre et les eaux 
Une difformité splendide au noir chaos. 

Les divins paradis, pleins d'une étrange sève, 
Semblent au fond des temps reluire dans le rêve, 
Et pour nos yeux obscurs, sans idéal, sans foi, 
Leur extase aujourd'hui serait presque l'effroi; 
Mais qu'importe à l'abîme, à l'âme universelle 
Qui dépense un soleil au lieu d'une étincelle, 
Et qui, pour y pouvoir poser l'ange azuré, 
Fait croître jusqu'aux cieux l'Éden démesuré! 

Jours inouïs! le bien, le beau, le vrai, le juste, 
Coulaient dans le torrent, frissonnaient dans l'arbuste; 
L'aquilon louait Dieu de sagesse vêtu; 
L'arbre était bon; la fleur était une vertu; 
C'est trop peu d'être blanc, le lis était candide; 
Rien n'avait de souillure et rien n'avait de ride; 
Jours purs! rien ne saignait sous l'ongle et sous la dent; 
La bête heureuse était l'innocence rôdant; 
Le mal n'avait encor rien mis de son mystère 
Dans le serpent, dans l'aigle altier, dans la panthère; 
Le précipice ouvert dans l'animal sacré 
N'avait pas d'ombre, étant jusqu'au fond éclairé; 
La montagne était jeune et la vague était vierge; 
Le globe, hors des mers dont le flot le submerge, 
Sortait beau, magnifique, aimant, fier, triomphant, 
Et rien n'était petit quoique tout fût enfant; 
La terre avait, parmi ses hymnes d'innocence, 
Un étourdissement de sève et de croissance; 
L'instinct fécond faisait rêver l'instinct vivant; 
Et, répandu partout, sur les eaux, dans le vent, 
L'amour épars flottait comme un parfum s'exhale; 
La nature riait, naïve et colossale; 
L'espace vagissait ainsi qu'un nouveau-né. 
L'aube était le regard du soleil étonné. 

III 

Or, ce jour-là, c'était le plus beau qu'eût encore 
Versé sur l'univers la radieuse aurore; 
Le même séraphique et saint frémissement 
Unissait l'algue à l'onde et l'être à l'élément; 
L'éther plus pur luisait dans les cieux plus sublimes; 
Les souffles abondaient plus profonds sur les cimes; 
Les feuillages avaient de plus doux mouvements, 
Et les rayons tombaient caressants et charmants 
Sur un frais vallon vert, où, débordant d'extase, 
Adorant ce grand ciel que la lumière embrase, 
Heureux d'être, joyeux d'aimer, ivres de voir, 
Dans l'ombre, au bord d'un lac, vertigineux miroir, 
Étaient assis, les pieds effleurés par la lame, 
Les premier homme auprès de la première femme. 

L'époux priait, ayant l'épouse à son côté. 

IV 

Ève offrait au ciel bleu la sainte nudité; 
Ève blonde admirait l'aube, sa soeur vermeille. 

Chair de la femme! argile idéale! ô merveille! 
O pénétration sublime de l'esprit 
Dans le limon que l'Être ineffable pétrit! 
Matière où l'âme brille à travers son suaire! 
Boue où l'on voit les doigts du divin statuaire! 
Fange auguste appelant le baiser et le coeur, 
Si sainte, qu'on ne sait, tant l'amour est vainqueur, 
Tant l'âme est vers ce lit mystérieux poussée, 
Si cette volupté n'est pas une pensée, 
Et qu'on ne peut, à l'heure où les sens sont en feu, 
Étreindre la beauté sans croire embrasser Dieu! 

Ève laissait errer ses yeux sur la nature. 

Et, sous les verts palmiers à la haute stature, 
Autour d'Ève, au-dessus de sa tête, l'oeillet 
Semblait songer, le bleu lotus se recueillait, 
Le frais myosotis se souvenait; les roses 
Cherchaient ses pieds avec leurs lèvres demi-closes; 
Un souffle fraternel sortait du lis vermeil; 
Comme si ce doux être eût été leur pareil, 
Comme si de ces fleurs, ayant toute une âme, 
La plus belle s'était épanouie en femme. 



Pourtant, jusqu'à ce jour, c'était Adam, l'élu 
Qui dans le ciel sacré le premier avait lu, 
C'était le Marié tranquille et fort que l'ombre 
Et la lumière, et l'aube, et les astres sans nombre; 
Et les bêtes des bois, et les fleurs du ravin 
Suivaient ou vénéraient comme l'aîné divin, 
Comme le front ayant la lueur la plus haute; 
Et, quand tous deux, la main dans la main, côte à côte, 
Erraient dans la clarté de l'Éden radieux, 
La nature sans fond, sous ses millions d'yeux, 
A travers les rochers, les rameaux, l'onde et l'herbe, 
Couvait, avec amour pour le couple superbe, 
Avec plus de respect pour l'homme, être complet, 
Ève qui regardait, Adam qui contemplait. 

Mais, ce jour-là, ces yeux innombrables qu'entr'ouvre 
L'infini sous les plis du voile qui le couvre, 
S'attachaient sur l'épouse et non pas sur l'époux, 
Comme si, dans ce jour religieux et doux, 
Béni parmi les jours et parmi les aurores, 
Aux nids ailés perdus sous les branches sonores, 
Au nuage, aux ruisseaux, aux frissonnants essaims, 
Aux bêtes, aux cailloux, à tous ces êtres saints 
Que de mots ténébreux la terre aujourd'hui nomme, 
La femme eût apparu plus auguste que l'homme! 

VI 

Pourquoi ce choix? pourquoi cet attendrissement 
Immense du profond et divin firmament? 
Pourquoi tout l'univers penché sur une tête? 
Pourquoi l'aube donnant à la femme une fête? 
Pourquoi ces chants? Pourquoi ces palpitations 
Des flots dans plus de joie et dans plus de rayons? 
Pourquoi partout l'ivresse et la hâte d'éclore, 
Et les antres heureux de s'ouvrir à l'aurore, 
Et plus d'encens sur terre et plus de flamme aux cieux? 

Le beau couple innocent songeait silencieux. 

VII 

Cependant la tendresse inexprimable et douce 
De l'astre, du vallon, du lac, du brin de mousse, 
Tressaillait plus profonde à chaque instant autour 
D'Ève, que saluait du haut des cieux le jour; 
Le regard qui sortait des choses et des êtres, 
Des flots bénis, des bois sacrés, des arbres prêtres, 
Se fixait, plus pensif de moment en moment, 
Sur cette femme au front vénérable et charmant; 
Un long rayon d'amour lui venait des abîmes, 
De l'ombre, de l'azur, des profondeurs, des cimes, 
De la fleur, de l'oiseau chantant, du roc muet. 

Et, pâle, Ève sentit que son flanc remuait. 


Oeuvre intégrale disponible sur http://abu.cnam.fr

 

 

Une bande dessinée à partir d'une oeuvre de Victor Hugo : http://www.lettres.net/hugo/demain/


 

 

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